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Entretien avec Emmanuel Henry (IRISSO – Université Paris-Dauphine – PSL)

Entretien avec Emmanuel Henry mené par M. Girel, directeur du CAPHÉS, le 19 décembre 2023.

Le huitième entretien de la série « Science et ignorance » : portraits a été réalisé avec Emmanuel Henry, qui est politiste et sociologue, professeur de sociologie à l’Université Paris Dauphine-PSL depuis 2013, et qui remplit depuis 20221 la fonction de directeur adjoint scientifique de l’Institut des Sciences Humaines et Sociales.
Emmanuel Henry  s’intéresse à la régulation des produits toxiques dans l’environnement et les milieux de travail, dans une perspective de sociologie des problèmes publics et de l’action publique. Il observe le rôle particulier de la science et de l’expertise dans la production des décisions et des non-décisions visant à réguler les risques sanitaires. L’entretien permet de suivre de façon précise le cheminement intellectuel de ses recherches, au travers de ses principaux ouvrages et travaux collectifs.

Il revient tout d’abord sur ses premiers travaux consacrés à l’amiante : une thèse2, qui donnera lieu au livre Amiante: un scandale improbable. Sociologie d’un problème public sept ans plus tard3. Le rôle du CPA (Comité Permanent Amiante) dans le retard de régulation, qui est significatif en France4, est examiné. L’entretien rend compte de l’intérêt croissant du chercheur pour le processus d’expertise scientifique lui-même, qui, tout en produisant de la connaissance, peut produire de l’ignorance ou freiner la régulation : la détermination de seuils de toxicité5 ou la distinction de différents types d’amiante, pour sauver le chrysotile, jouent ainsi ce rôle.
Emmanuel Henry est amené à préciser l’influence des premiers travaux sur l’ignorance menés outre-atlantique, sur ses recherches, et indique quels sont selon lui les ressorts de la production d’ignorance : la question des rapports de force entre différents acteurs sociaux et les aspects politiques semblent ainsi plus présents dans son analyse que celle de l’intentionnalité ou de la production stratégique de l’ignorance. 
Certains groupes sociaux, qui subissent les désagréments des polluants et des toxiques, n’ont pas les moyens de produire eux-mêmes les données dont ils auraient besoin pour prouver la nocivité d’un produit car les études scientifiques peuvent être longues et coûteuses : les travaux d’E. Henry contribuent ainsi à montrer en quoi la connaissance peut être une valeur, ou un enjeu, qui, plus que de produire une régulation efficace, peut retarder cette dernière ; il précise dans cet entretien l’intérêt des travaux sur la science non-faite.

E. Henry revient ensuite sur deux de ses travaux collectifs. Le premier, mené à l’échelle nationale, a trait à l’indépendance de l’expertise6. Le second, réalisé à l’échelle internationale est l’ouvrage Residues : Thinking Through Chemical Environments7, qui vise à réunir des savoirs parcellaires sur les polluants, présents à la fois dans nos vies personnelles et professionnelles, afin de rendre compte de leur réalité matérielle et de les présenter comme un tout.

L’interview rend ensuite compte des travaux du chercheur sur l’inertie des processus de décision politique liés à la régulation des toxiques, qu’il étudie  dans son ouvrage Ignorance scientifique et inaction publique 8.
Il est ensuite question de La fabrique des non‐problèmes 9, qui analyse notamment le processus de régulation des gaz d’échappement diesel à l’échelle européenne, avec l’affaire du dieselgate et développe la notion d’ignorance toxique.
Après être revenu sur l’ouvrage collectif Residues : Thinking Through Chemical Environments plus en détail, E. Henry propose des pistes permettant de ne pas sombrer dans le fatalisme, face à ces difficultés structurelles, à savoir le levier de l’action collective et des mobilisations. L’entretien se clôture sur la présentation de ses recherches à venir : notamment, une collaboration avec la chercheuse E. Counil sur la quantification des effets du travail sur la santé, par l’épidémiologie.

Pour aller plus loin :

Bibliographie :

  1. au moment de la rédaction du présent billet []
  2. Henry, Emmanuel. « Un scandale improbable : Amiante, d’une maladie professionnelle à une “crise de santé publique” ». Thèse de doctorat, Compiègne, 2000. []
  3. Henry, Emmanuel. Amiante: un scandale improbable. Sociologie d’un problème public. Res Publica. Presses Universitaires de Rennes, 2007. []
  4. L’interdiction de l’amiante en 1997 a lieu à l’issue d’une courte période durant laquelle les médias se sont emparés de la question. Le scandale émerge après une dizaine ou une quinzaine d’années de silence autour des dangers matériau. Pourtant, il est rappelé dans l’entretien que l’asbestose est reconnue comme maladie professionnelle dès 1947 et que l’amiante est classé cancérigène certain dès 1977 []
  5. Voir :  Henry, E. « Governing Occupational Exposure Using Thresholds: A Policy Biased Toward Industry » Science, Technology, & Human Values, vol. 46, n° 5, 2021, 953‑74 []
  6. Henry, Emmanuel, Claude Gilbert, Jean-Noël Jouzel, Pascal Marichalar. Dictionnaire critique de l’expertise : Santé, travail, environnement. Paris: Les Presses de Sciences Po, 2015 []
  7. Angela N. H. Creager, Soraya Boudia, Scott Frickel, Emmanuel Henry, Nathalie Jas, Carsten Reinhardt, et Jody A. Roberts. Residues: Thinking Through Chemical Environments. New Brunswick, NJ: Rutgers University Press, 2021. []
  8. Henry, Emmanuel, Ignorance scientifique et inaction publique. Sciences Po (Les Presses de), 2017 []
  9. Henry, Emmanuel. La fabrique des non‐problèmes. Presses de Sciences Po, 2021. []

OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Julie Solviche (26 juillet 2024). Entretien avec Emmanuel Henry (IRISSO – Université Paris-Dauphine – PSL). Carnet d'études agnotologiques. Consulté le 19 avril 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/123np


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